dimanche 23 juin 2013

L'héritage des petits livres d'or.


C'est toujours un plaisir que de dénicher des livres rares, des livre qui s'intéressent à la littérature jeunesse, comme un genre à part entière. C'est le cas de ce très beau livre sur la collection des petits livres d'or, une collection reconnaissable entre tous par sa jolie tranche dorée et qui a accompagné de nombreuses générations d'enfants à travers le monde. Le "Golden Legacy" tente de nous montrer à quel point cette collection a modifié les habitudes des lecteurs et a profondément marqué le monde du livre pour enfant en découvrant de nombreux auteurs et illustrateurs, reconnus aujourd'hui parmi les meilleurs de leur temps. C'est en 1942, en période de guerre, qu'est lancée la collection des petits livres d'or à 25 cents. Dans cette période de privations pour de nombreuses familles, les petits livres d'or étaient accessibles à tous grâce à leur prix défiant toute concurrence, on pouvait les trouver un peu partout, dans les commerces de proximité, il était donc facile des se les procurer, et c'est de cette façon que la collection a petit à petit pénétré les foyers américains.

Le livre de Leonard S. Marcus, en plus de parler des débuts de la collection, explique à quel point elle a contribué à faire évoluer le monde de l'édition jeunesse. Même si au début, ses livres à petits prix étaient boudés par les libraires et les critiques, qui les voyaient comme un produit de masse comme un autre. C'est en 1948, que Richard Scarry, alors complètement inconnu, fait son apparition dans la maison en réalisant une double page publicitaire pour la collection. Il deviendra un des illustrateurs emblématiques de la collection. Leonard S. Marcus insiste aussi sur le lien entre l'industrie naissante du dessin animé et les petits livres d'or. En effet, de nombreux artistes travaillant pour Disney ou pour le studio concurrent Walter Lantz débarquent sur la Côté Est et sont introduits aux éditeurs des petits livres d'or. Parmi eux, le couple Alice et Martin Provensen, auteurs des "Color Kittens", ou encore Mary Blair dont l'empreinte et le style sont reconnaissables dans Alice au pays des merveilles ou Peter Pan de Disney.

Mais ce livre est vraiment plus qu'un livre d'histoire, car en plus d'être incroyablement bien documenté, il contient des interviews d'illustrateurs contemporains (Steven Guarnaccia parle de l'influence de Feodor Rojankovsky, William Joyce de celle de Garth Williams...) qui rendent un hommage émouvant à leurs aînés.On y trouve aussi de nombreux dessins, un nombre incalculables de couvertures et des documents photographiques rares qui montrent les auteurs au tavail!
Pour ne rien gâcher, le livre est préfacé par Eric Carle, l'auteur du besteller "La chenille qui fait des trous". 

Certains petits livres d'or ont été republiés en français ces dernières années par les éditions Deux Coqs d'Or, parfois avec une couverture et un format différent des éditions originales. Les anciennes éditions sont assez bien recherchées pour le style retro et le souvenir qu'elles évoquent aux parents ou grands-parents d'aujourd'hui.

"Golden legacy, How Golden Books won Children's hearts, changed publishing forever, and became an American icon along the way".
Leonard S. Marcus, Golden Books, Random House, 2007, 39.49 euros.

jeudi 20 juin 2013

Remy Charlip, chorégraphe de l'image.

Aujourd’hui, je vais vous parler de Remy Charlip, auteur ilustrateur américain, peu connu dans nos contrées francophones, mais dont le travail est peu à peu redécouvert grâce aux formidables éditions nantaises Memo.


Né en 1929 à Brooklyn dans une famille d’immigrés russes, Remy Charlip se tourne assez vite vers les disciplines artistiques, puisqu’il étudie le desing textile dès le lycée. Il entre ensuite à l’école des Arts décoratifs Cooper Union toujours à New York. Une deuxième voie s’ouvre à lui et c’est à la prestigieuse académie Juilliard qu’il apprend à danser. A 20 ans, il danse dans "les Mariés de la tour eiffel" de Jean Cocteau et dans "the only jalousy of emer" du poète anglais Yeats sur une partition musicale de Lou Harrisson, figure majeure de la musique expérimentale , qui deviendra son compagnon de vie durant de longues années. C’est grâce au compositeur que Remy Charlip fera la connaissance de l’avant-garde des années 50. Il rencontre notamment Merce Cunningham, avec qui il fonde une compagnie de danse toujours active aujourd’hui. (pour ceux qui ne connaissent rien à la danse Merce Cunningham est considéré comme le chorégraphe ayant opéré la transition entre la danse moderne et la danse contemporaine). A la même époque, il commence à collaborer avec le Black Moutain College, sorte d’Université expérimentale pré-hippie et multidisciplinaire qui a fait émerger des artistes comme le musicien John Cage ou le peintre Robert Rauschenberg. Remy Charlip prend part à cette aventure artistique particulièrement riche dans l’histoire de l’art américain. Leur crédo est l’expérimentation, et la fusion totale entre l’art et la vie. A cette même époque naît l’expérience du Living theatre en réaction aux théâtre formaté joué sur Broadway. Remy Charlip signe la première chorégraphie pour la troupe.

 C’est à peu près à la même période qu’il commence à publier des livres pour enfants. Il en a publié une trentaine, certains sont devenus de vrais classiques aux Etats Unis. Je ne vais évidemment pas pouvoir parler de tous ses livres, je vais donc me concentrer sur ceux qui ont été traduits en français
"Ou est qui ?" , est un assez mauvais titre en français, puisque le titre original est "Where is everybody". Le livre est constitué d’une suite de plans fixes dont les éléments changent à chaque page, apparaissent à tour de rôle un oiseau, le soleil, des montagnes, une rivière, un poisson qui composent un grand paysage, qui occupe la double page. Mais les nuages s’amoncellent et la pluie tombe, tout et tous disparaissent, mais où sont-ils ? Un livre en forme d’énigme au graphisme plus que minimaliste qui s’adresse aux tout petits. De par son expérience de chorégraphe, Remy Charlip envisage le livre comme une scène de théâtre, au fil des pages, il dévoile ce qui était caché, il cache autre chose, il crée la surprise, organise l’entrée en scène de l’élément suivant.

"Déguisons-nous", raconte en très peu de mots, la fête improvisée d’enfants qui décident de se déguiser et recyclent des objets de leur quotidien pour se transformer. Cet album fait écho à la création, par l’auteur, des Paper bag Players, une compagnie de théâtre pour enfants, toujours active aujourd’hui, qui veut stimuler la créativité des enfants en imposant l’improvisation et l’introduction d’objets de la vie de tous les jours dans les spectacles.

 "Heureusement", est son besteller, c’est un livre que tous les petits américains connaissent. Pour vous donner une idée du succès, depuis 2006, il s’en est vendu plus de 100 000 exemplaires.
 
 On va de catastrophes en surprises, dans une suite de rebondissements des plus farfelus. C’est un livre qui fonctionne évidemment sur la répétition et l’alternance des pages colorées et des pages en noir et blanc. Le propos est simple, mais n’est pas sans évoquer le contexte politique et social des années 60 aux Etats-Unis. Le livre se veut la métaphore d’une époque en dents de scie, c’est à la fois l’élection de Kennedy qui redonne de l’espoir à une partie des américains, c’est aussi la guerre du Vietnam, les émeutes raciales, etc… Paradoxalement, les années 60 représentent l’âge d’or de l’album jeunesse aux Etats- Unis, émergent à l’époque des auteurs comme Maurice Sendak, Tomi Ungerer, André François, Margaret Wise Brown (l’auteur de "Bonsoir lune", qui a aussi collaboré avec Remy Charlip), la plupart sont publiés chez Harper and Row, maison dirigée à l’époque par Ursula Nordstrom à qui la littérature jeunesse doit beaucoup. Le livre jeunesse devient un véritable espace de création, tout ou presque y est permis, et Remy Charlip fait partie de cette génération qui a profité de cette ère de liberté dans le livre pour enfants.


 Remy Charlip est décédé le 14 août 2012 à l’âge de 83 ans, il n’a jamais cessé de créer que ce soit des livres pour enfants ou des chorégraphies. Il y a pour lui un lien fondamental entre la chorégraphie et le livre d’images. Deux formes de création qui comme la bande dessinée ou le théâtre ont en commun la capacité d’être transformées, mises ne boucle, coupées et réorganisés. Ces deux mondes étaient intrinsèquement reliés pour lui. Il aimait dire qu’il chorégraphiait en images. Son projet "Reading dance" en est le résultat concret : une série de dessins représentant un personnage sans visage lisant un livre dans un fauteuil dans différentes positions. Le lecteur devient danseur, la lecture est elle-même chorégraphiée. Il en tire une performance qu’il réalisera à Paris avec certains de ses amis danseurs, on y voit un vieux bonhomme un livre la main, exécutant d’étranges figures dans un fauteuil. Il dessinait aussi des chorégraphies qu’il envoyait à des compagnies de danse à l’étranger, ils les appelaient les "Airmail dances".

 
 Grâce à l’action de passionnés comme Elisabeth Lortic des éditions des Trois Ourses, ou Christine Moreau de Memo son travail a été redécouvert en France, et certains de ses livres ont été traduits pour la toute première fois. En 2004, il confie à l’illustrateur Erik Dekker son dernier projet de livre qui s’intitule "Rien" où il se moque de la vacuité de la publicité télévisée. Un dernier livre donc, plein de fantaisie, mais qui fait le constat d’une société qui a changé, bien différente de celle dans laquelle Remy Charlip a évolué. Remy Charlip a connu une vie bien remplie dévouée à ses passions, danse et illustration!

Voici la liste des titres disponibles en français :

"Où est qui", Remy Cahrlip, Memo
"Déguisons-nous", Remy Charlip, Memo
"Heureusement", Remy Charlip, Memo
"Rien", Remy Charlip & Erik Dekker
"Maman, Maman, j'ai mal au ventre", Remy Charlip & Burton Spree
"On dirait qu'il neige", Remy Charlip, les Trois Ourses
"Mon chat personnel et privé spécialement réservé à mon usage particulier", Remy Charlip & Sandol Stoddard, Memo
"Une chanson pour l'oiseau", Remy Charlip & Margaret Wise Brown, Didier jeunesse

vendredi 14 juin 2013

Oyvind Torseter le trait avant tout!

On avait déjà été intrigué par "Mr Random" publié en 2002 au Rouergue. Un album en forme de rêve éveillé peuplé de personnages aux têtes d'animaux. Ce n'est qu'en 2009 qu'on a retrouvé  avec bonheur cet auteur-illustrateur norvégien avec le livre "Détours" paru aux éditions genevoises de la Joie de Lire. Un album au dessin très original, élégant mais tordu, qui a remporté un prix au prestigieux Salon du livre de Bologne. On a su qu'il fallait compter sur ce norvégien au nom imprononçable tant l'univers qu'il déployait était puissant. Et 2013 est l'année Torseter avec deux livres parus respectivement à La Joie de Lire et chez Cambourakis. Deux albums finalement assez différents, tant sur le plan narratif que sur le plan visuel.



"Le trou" est un album concept, qui comme son titre l'indique est percé d'un petit trou qui traverse le livre.
On assiste au déménagement du  héros, un homme affublé d'une tête animale, qui arrivé dans son appartement découvre un trou dans le mur, mais au fil des pages le trou se déplace, et Torseter reconstruit les images autour de lui.Vite obsédé par l'existence du trou, notre héros appelle un centre de recherches scientifiques qui examinera le trou sous toutes les coutures. Les premières pages du livre sont impressionnantes au niveau de la construction, et chaque page est réellement un rebondissement, car ce trou qui nous semble immobile n'arrête pas de se déplacer dans le décor. La deuxième partie de l'histoire est un peu moins intéressante, on ne comprend pas très bien l'intervention de ses scientifiques, tant le huis clos dans l'appartement fonctionne! C'est néanmoins un livre à acquérir pour son originalité et sa très belle réalisation. Saluons pour cela La Joie de Lire qui nous épate d'année en année.

"Pourquoi les chiens ont la truffe humide" est un conte étiologique (lorsqu'une histoire, orale ou écrite, a pour but de donner une explication imagée à un phénomène ou une situation dont on ne maîtrise pas l'origine) signé Kenneth Steven et illustré par Oyvind Torseter. Le récit commence il y a très longtemps sous une très fort pluie...Heureusement un homme du nom de Noé construisit un bateau pour que puissent s'y réfugier hommes et animaux. Tout le monde embarqua à bord, même le chien de Noé qui traînant la patte monta le dernier. Au cours du voyage, un trou (encore un) apparut dans la coque du navire, heureusement Noé n'était pas à court d'idées et utilisa la truffe de son chien adoré pour boucher le trou! C'est depuis lors, depuis l'Arche de Noé, que les chiens ont la truffe humide! Kenneth Steven nous offre relecture décalée de l'Arche de Noé, on est bien loin du récit biblique. Le ton de l'album est vraiment particulier et a un côté humoristique dans le bon sens du terme. Les dessins au trait de Oyvind Torseter sont subtils et vraiment drôles et contrairement aux autres albums du norvégien, on sent qu'ici il s'adresse principalement aux enfants. Les grandes doubles pages où l'on voit les animaux à l'intérieur du bateau sont surprenantes, il y a plein de détails à observer, du cerf DJ, en passant par le rhino guitariste, le tigre dévoreur de livres et j'en passe... La finesse des illustrations de Torsteter est accompgnée d'une mis en couleurs parcellaire mais efficace avec des encres presque fluos! Un album qu'on vous recommande pour les petiots dès 5 ans!